SANTA CRUZ | VUE GENERALE D'ORAN |
IN Memoriam… Ecoute, mon enfant, l'histoire de tes racines
Tranchées dans la douleur par l'Histoire assassine. Tes ancêtres quittèrent le beau Royaume de France Au règne de Louis-Philippe ; avides d'espérance, Ils choisirent l'exil avec, pour tout viatique, Leurs rêves et leurs espoirs et un courage unique. Plutôt que de subir un futur incertain, Ils partirent défricher l'âpre sol Africain. Sur une terre aride de quelques acres incultes, Du Destin et du Temps ils bravèrent les insultes, Arrachant les lentisques, les ronces et les palmiers, De la France lointaine ils furent les pionniers, Eventrant un sol vierge de leurs humbles araires, Maîtres de leur destins et, des puissants, les Pairs. Sous le couvert des armes, sous la tente commune, Ventre creux, ils dormaient d'un sommeil de fortune. Ils souffrirent du trachome et de la malaria, Travaillant comme des bêtes, pareils à des parias. Ils pâtirent de la soif et de la dysenterie, Contraints de s'abreuver d'une eau souvent croupie. Ils virent le sirocco au souffle ravageur Détruire en quelques heures des semaines de labeur, Le feu de la sécheresse qui embrase les gorges Faire les plus noirs charbons des plus rustiques orges, Et les vols de criquets, bruissants nuages noirs, S'abattre sur leurs blés et ruiner leurs espoirs. Ils subirent traquenards, razzias et incendies, Contraints, l'arme à la main, de préserver leurs vies, Défendant, pied à pied, une parcelle inféconde Qui valait, à leurs yeux, toutes les richesses du monde. Parfois découragés, au grand jamais vaincus, Cent fois ils reprenaient leur ouvrage abattu. Ils s'usèrent à la tâche, vieillis bien avant l'heure Inculquant à leurs fils le Courage et l'Honneur, Ces vertus qui s'acquièrent quand, face à son destin, L'Homme réfute la défaite et poursuit son chemin. A force de labeur et de persévérance, Leur terre porta enfin les fruits de leurs souffrances. Ils bâtirent de leurs mains de modestes maisons Où les familles, unies, fêtèrent la floraison. Et les foyers fleurirent, au rythme des mariages… Les minuscules hameaux se changèrent en villages. Ils y tracèrent des rues, bâtirent une Mairie Où flotta le drapeau de la mère Patrie. Ils y creusèrent un puits, construisirent une école Où vinrent s'asseoir en frères Ahmed, Isaac et Paul. Ils dressèrent également une modeste stèle, Inscrivant dans la pierre la mémoire fidèle De leurs prédécesseurs, les Pionniers d'un autre âge, Les défricheurs de terres, fondateurs du village. Certaines communes portèrent des noms mis en exergue : Turenne, Lamoricière, Kléber, Gaston Doumergue… D'autres, des noms de victoires : Arcole et Rivoli, Comme pour exorciser leur manque de Patrie. Au fils des ans, ils firent des routes, des voies ferrées, Apportant le progrès aux plus lointaines contrées. Ils fondèrent des usines, des mines, des ateliers Où vinrent gagner leur vie travailleurs par milliers. Ils creusèrent des canaux portant l'irrigation, Changèrent des terres arides en riches plantations, Créant orangeraies, vignobles, oliveraies Où ne poussaient jadis que chardons et ivraie. Des dunes du bord de mer à celles des oasis, Ils apportèrent la France au pays de ses fils. Ils étendirent partout la civilisation, Créant des dispensaires, développant l'instruction, Démoustifiant les eaux des marécages putrides, Combattant l'érosion qui fait des pentes vides, Amenant l'eau courante et l'électricité Aux villages isolés dans une immensité, Donnant à leur pays richesses et expansion, Ils firent l'admiration de plus d'une nation. Sous l'égide de la France, dans une œuvre héroïque, Ils bâtirent de leurs mains un pays magnifique, Prospère, neuf et promis aux meilleurs lendemains, Département Français aux rivages Africains. De tes aïeux sois fier, mais sans ostentation ; La grandeur va de pair avec la discrétion. De leur gloire de Pionniers ne fais pas étalage ; Garde-la dans ton cœur en précieux héritage. A tes enfants, plus tard, tu diras leur Histoire, Car nous portons en nous un devoir de Mémoire. Méprise les ignorants qui nous disent racistes, Profiteurs, exploiteurs, fats et colonialistes. Ces qualificatifs font la caricature D'une infime poignée de " Colons " purs et durs, Des nantis, des puissants, sans commisération Pour tous ceux qui trimaient sur leurs exploitations. Ces gens n'ont jamais fait partie de notre monde, Celui des besogneux de l'Algérie profonde Qui travaillaient en paix, cohabitaient en frères, Dont les racines communes plongeaient dans une même terre. Chrétiens, Musulmans, Juifs, tous enfants d'Abraham, Montraient le même allant et la même grandeur d'âme. Si ta vie, mon enfant, t'inflige des déboires, Si tout semble perdu, si tu ne sais plus croire Evoque leur grandeur, invoque leur mémoire, Rassemble ton courage, reforge ton espoir Et pense avec fierté " Je descends des Pieds-Noirs " Pierre GUIBERT Le 10 juin 2002 |